Des Soudanais auraient été envoyés malgré eux combattre en Libye et au Yémen après recrutement par une agence de sécurité émiratie
De jeunes Soudanais partis travailler comme agents de sécurité aux Emirats arabes unis affirment avoir été envoyés, à leur insu, en Libye pour garder des champs pétroliers, a révélé une enquête publiée par le journal belge “le vif”.
Le journal a souligné que Amanda’s Agency et Princess’s Office for External Use, deux agences de travail de la capitale soudanaise, proposent aux candidats de rejoindre le petit Etat du Golfe. Trois mois de formation payés doivent déboucher sur un poste d’agent de sécurité pour des infrastructures pétrolières. A leur arrivée, leurs passeports sont confisqués par un agent de Black Shield.
Les jeunes sont amenés dans un camp d’entraînement basé dans la région de Gayathi, à l’ouest de la capitale émiratie. Là, de vieux chars d’assaut et des carcasses de véhicules de guerre désossés bronzent sous le soleil dans un paysage désertique censé simuler une zone de bataille. Les instructeurs émiratis constituent des groupes en fonction des expériences militaires de chacun et prennent soin de mélanger les initiés avec les débutants. Les cours sont intensifs. La pratique et la théorie portent sur le maniement des armes lourdes, l’apprentissage de tactiques militaires et la construction de tranchées.
Les Emirats arabes unis sont engagés au Yémen et en Libye. Ils y déploient principalement des mercenaires étrangers. » Il y a une difficulté à trouver des militaires émiratis prêts à aller se battre et mourir au front. En Occident, nos soldats acceptent le risque de perdre la vie mais ce principe n’est pas tout à fait clair aux Emirats « , affirme Jalel Harchaoui, chercheur spécialiste de la Libye à l’Institut néerlandais de relations internationales Clingendael.
A Khartoum, les familles des malheureux sont prévenues au compte-gouttes du sort de leurs enfants. Elles organisent des manifestations devant le ministère des Affaires étrangères et l’ambassade émiratie de Khartoum. En février, sous la pression diplomatique, les Emirats finissent par céder. Ils renvoient au Soudan les 275 victimes de Black Shield. Mohamed et Ibrahim, encore en formation à Abou Dhabi font, eux aussi, pression pour rentrer au Soudan. Le 30 janvier, ils sont à leur tour rapatriés.
Suleiman Algadi, avocat à Khartoum, a entamé une action en justice contre Black Shield et les agences locales de travail. L’homme représente aujourd’hui 412 victimes de l’entreprise émiratie devant la justice soudanaise. » Black Shield a commis un trafic d’êtres humains et devra être puni au niveau national et international. Ces hommes ont été engagés pour travailler comme agents de sécurité mais n’ont trouvé sur leur chemin que de la négligence et un traitement inhumain, que ce soit aux Emirats ou en Libye. Heureusement, il n’y a eu que des blessures mineures pour ceux partis en Libye. Tous sont depuis rentrés au Soudan. » A ce stade, aucune compensation financière n’a été octroyée aux victimes. Contactée, l’ambassade émiratie à Bruxelles n’a jamais répondu à notre demande d’entretien.
Ce renfort avorté de mercenaires devait répondre à la demande du maréchal Haftar. Le chef de l’Armée nationale libyenne (ANL) contrôle plus de 90 % des installations pétrolières en Libye. Un avantage financier et stratégique qu’il souhaite défendre face aux offensives du camp d’en face, le gouvernement libyen d’Union nationale (GNA), reconnu par la communauté inter- nationale et soutenu par la Turquie. Khalifa Haftar compte, lui, sur le soutien des Emirats arabes unis, pourvoyeur de fonds, d’armes et… de troupes.
En septembre 2019, il est à court de combattants libyens. Jusque-là engagés pour garder les raffineries, ports et champs pétroliers, ses mercenaires russes et soudanais (précédemment recrutés) sont envoyés au front, laissant ainsi ses positions vacantes. » A la fin de l’année 2019, il y a eu une augmentation du nombre de mercenaires soudanais. Cela résulte en partie du refus des Libyens de l’est de se battre « , révèle Jalel Harchaoui, de l’Institut Clingendael. Les Soudanais de Black Shield se substituent aux forces locales libyennes pour prendre les armes. Les nouvelles recrues ont ainsi pour mission de remplacer leurs camarades mercenaires partis au combat.
Derrière cette protection des installations pétrolières d’Haftar, se joue en réalité bien plus qu’un simple soutien amical. Le maréchal libyen et les Emirats ont lancé en janvier un embargo pétrolier sur la compagnie nationale de pétrole (NOC). Khalifa Haftar veut alors couper les vivres de la Banque centrale à Tripoli, très dépendante des recettes pétrolières. » Il préfère se priver de l’argent de l’exportation pétrolière plutôt que de voir la Turquie et son ennemi ponctionner ses revenus pour leurs dépenses militaires. » Jusque-là épargnée par le conflit libyen, la National Oil Corporation (NOC) fait face depuis au blocage et à l’arrêt de tous ses ports et champs pétroliers, situés dans l’est. » On pense que les mercenaires soudanais, spécialement aux alentours des ports, sont des acteurs de cet embargo « , avoue un consultant pour le marché pétrolier libyen. » Les Emirats bénéficient de cet embargo. Car quand la Libye perd sa production et son exportation, d’autres pays pétroliers bénéficient de ses parts de marché. Et la Libye ne représente pas rien ! L’an dernier, nous produisions environ 1,25 million de barils par jour. Par ailleurs, notre pétrole est de haute qualité et est peu coûteux à produire. On est aussi très proches du marché européen, donc l’exportation coûte moins cher. «
Alors qu’un krach pétrolier lié au confinement généralisé de l’économie mondiale secoue les pays producteurs, la disparition de la concurrence libyenne ne serait pas pour déplaire à Abou Dhabi. » La NOC ne produit plus que 80 000 à 90 000 barils/jour. Ce qui représente, depuis janvier, une perte de quatre milliards de dollars pour la Banque centrale libyenne « , conclut le consultant sur le marché pétrolier. La communauté internationale n’a pas réagi et ne le fera pas dans l’immédiat , selon le chercheur Jalel Harchaoui : » Il y a trop de pétrole sur le marché du fait d’un surplus de l’offre. Le marché est complètement submergé et personne ne veut du pétrole libyen de toute façon.