Emirates Fuites

Classement RSF 2020: Pas de presse indépendante et chasse aux voix dissidentes aux EAU

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Le rapport de l’organisation Reporters sans frontières (RSF) classe les Emirates arabes unis à 131e place dans le classement mondial de la liberté de la presse au titre de 2020 et mis en ligne ce mardi sur le portail de l’Organisation. Le classement concerne 180 pays.

L’organisation a souligné que les Émirats arabes unis sont passés maîtres en matière de surveillance en ligne des journalistes, cible récurrente des autorités en vertu de la loi sur la cybercriminalité (2012).

Journalistes et blogueurs se retrouvent dans le collimateur des autorités dès qu’ils émettent la moindre critique. Ils sont généralement accusés de diffamation, d’offense à l’État ou de diffusion de fausses informations visant à nuire à l’image du pays.

Ils risquent pour cela de lourdes peines de prison et sont susceptibles d’y subir de mauvais traitements. Le blogueur Ahmed Mansoor a été arrêté en mars 2017 puis condamné à 10 ans de prison et à une amende d’un million de dirhams (soit l’équivalent de 250 000 euros). Il est accusé d’avoir diffamé le pays sur les réseaux sociaux en publiant entre autres des “fausses informations, rumeurs et mensonges sur les Émirats” visant à nuire à la réputation du pays.

RSF a ajouté que la Constitution du pays garantit la liberté d’expression, mais le pouvoir en place peut censurer des publications locales ou étrangères si elles sont critiques de la politique intérieure, des familles souveraines, de la religion, de la relation du pays avec ses alliés ou encore de l’économie du pays, en vertu de la loi fédérale de 1980 sur les imprimés et publications.

Les dix prochaines années seront sans doute “une décennie décisive” pour la liberté de la presse, alerte RSF, la crise sanitaire actuelle amplifiant les nombreuses difficultés économiques, politiques ainsi que le défaut de confiance dont souffre le secteur.

“L’épidémie est l’occasion pour les Etats les plus mal classés d’appliquer la “stratégie du choc”, théorisée par Naomi Kein : ils profitent de la sidération du public et de l’affaiblissement de la mobilisation pour imposer des mesures impossibles à adopter en temps normal”, déplore auprès de l’AFP Christophe Deloire, secrétaire général de l’organisation qui publie mardi l’édition 2020 de son classement mondial de la liberté de la presse.

C’est le cas de la Chine (177e) et de l’Iran (173e, – 3), “qui ont mis en place des dispositifs de censure massifs” ou de la Hongrie (89e, – 2), où le Premier ministre a fait voter une loi “coronavirus” qui prévoit des peines allant jusqu’à cinq ans de prison pour la diffusion de fausses informations.

L’infodémie, “pandémie d’infox autour de la maladie”, est prétexte à des lois répressives, relève Christophe Deloire, soulignant que le mélange entre propagande, publicité, rumeurs et journalisme “déséquilibre les garanties démocratiques pour la liberté d’opinion et d’expression”.

“Des armées de trolls d’État, en Russie, en Chine, en Inde, aux Philippines (136e, -2) et au Vietnam (175e) utilisent l’arme de la désinformation sur les réseaux sociaux”, note RSF.

L’épidémie accélère aussi la crise économique de la presse : “au Libéria, les journaux papier ont arrêté de paraître, tandis qu’aux Etats-Unis, plus de 30.000 personnes travaillant dans les médias ont perdu leur emploi depuis le début de la crise”, détaille Christophe Deloire.

“Que seront la liberté, le pluralisme et la fiabilité de l’information d’ici l’année 2030 ? La réponse à cette question se joue aujourd’hui”, estime-t-il.

Pour éclairer le débat, RSF organise mardi soir une conférence virtuelle avec des personnalités “qui incarnent le journalisme” : la journaliste du Washington Post Rana Ayyub, “objet de campagnes de cyberharcelement très violentes en Inde”, le lanceur d’alerte Edward Snowden “dans un contexte où on est particulièrement préoccupé par la surveillance” et le Nobel d’Economie Joseph Stiglitz, “spécialiste des asymétries d’information”, précise Christophe Deloire.

Le classement 2020, qui étudie 180 pays et territoires, fait apparaître une légère amélioration de l’index général sur un an, mais ne tient pas compte de l’épidémie.

Et la proportion des pays en “situation critique” augmente par rapport à 2019 (+2 points à 13%).

En bas du classement, on retrouve la Corée du Nord (180e, – 1) qui ravit la toute dernière place au Turkménistan, tandis que l’Érythrée (178e) reste le pire représentant du continent africain.

Le trio de tête regroupe la Norvège, première pour la quatrième fois d’affilée, suivie de la Finlande et du Danemark (3e, +2).

Mais la menace guette même ces bons élèves avec la montée des cyberviolences.

Aux États-Unis (45e, +3) et au Brésil (107e, -2), deux chefs d’État démocratiquement élus, Jair Bolsonaro et Donald Trump, continuent de dénigrer la presse et d’encourager la haine des journalistes, note RSF.

La France (32e, -2) recule, à cause de faits de cyberharcèlement mais aussi parce que des journalistes ont été clairement visés par la police lors de manifestations, tandis que d’autres couvrant des faits relevant du secret défense ont été convoqués à répétition, développe Christophe Deloire déplorant “une intimidation judiciaire”.

Les bonnes nouvelles viennent d’Afrique, où la chute de nombreux dictateurs et régimes autoritaires ces dernières années, comme en Éthiopie (99e, + 11), en Gambie (87e + 5) ou au Soudan (159e, + 16), a permis de desserrer un peu l’étau sur les journalistes, même si “les changements profonds, seuls à même de favoriser l’essor d’un journalisme de qualité, libre et indépendant, sont encore trop rares”.

La Malaisie (101e, +22) et les Maldives (79e, +19), après une alternance politique, affichent les deux plus belles progressions du classement 2020.